Le Jeu de l’Amour et de la Mort

Livret de Romain RollandMusique de Roger Calmel
Durée : 1h35
7 solistes / SATB / orchestre
Création : le 25/02/1966 au Grand Théâtre de Bordeaux
Direction : Robert Herbay
Commande des Affaires Culturelles d’abord donnée à la Radio le 21 janvier 1966 à l’occasion d’une semaine consacrée à Romain Rolland, cette œuvre est inspirée d’une épisode de la lettre des Girondins contre Robespierre.

Le Jeu de l’Amour et de la Mort (1965) est un opéra en trois actes, sur un texte de Romain Rolland.. C’est la Radio qui en assure la création en version de concert dès le début 1966, avant la première version scénique, un mois plus tard, sur la scène du Grand Théâtre de Bordeaux. Le sujet en est un drame à trois personnages qui prend place au moment du règne de la Terreur (la Ronde Nationale de Gossec ainsi que la Carmagnole y sont citées). En effet, l’exigence qui était celle du compositeur n’aurait pu s’accommoder d’une trame sentimentale banale, prétexte à des coups de théâtre convenus.
Le plan adopté par le livret reste tout à fait classique. L’acte I correspond à trois scènes d’exposition, qui précèdent elles-mêmes par cercles concentriques du collectif vers l’exploration d’un caractère, pour amener peu à peu les personnages à se dévoiler. L’acte II est voué au resserrement de l’action, avec le retour inopiné d’un jeune révolutionnaire dans le foyer d’un couple d’amis, dont le mari siège à la convention et dont la femme est secrètement amoureuse de lui, et le troisième acte au dénouement tragique, qui voit le sacrifice consenti de cette passion.
Mais le compositeur anime constamment cette structure dramaturgique classique, à la fois en jouant sur la mobilité des sentiments et en variant la densité de texture. Les scènes sont courtes et construites presque cinématographiquement. Ainsi la première, qui se déroule dans le salon du couple en question, s’ouvre par de grands blocs polytonaux à l’orchestre, avant de faire place à la citation de Gossec puis au menuet que dansent les invités. Sans faire prendre la parole aux principaux personnages, le compositeur détache du chœur un quatuor de solistes qui, par leur conversation, vont planter le décor et camper l’atmosphère de crainte qui sera celle de l’opéra (avec cette distinction qui sépare la crainte de la peur pure et simple, Le Jeu de l’Amour et de la Mort n’est pas Dialogue des Carmélites ; la crainte étant la toile de fond et non le ressort de l’évolution des personnages).
Passant du plan général au plan rapproché avec une parfaite logique narrative, la musique évite de sombrer dans l’évocation décousue, irriguée par une générosité mélodique qui ne connaît pas de repos et culmine avec le quatuor de la première scène. Immédiatement enchaînée, la deuxième scène est le pendant exact de la première, campant sobrement, vues de la rue, les atrocités de l’époque (sur fond de Carmagnole). Ce n’est que dans la dernière scène du premier acte que l’héroïne fait son apparition, alors que l’angoisse est matérialisée par le mutisme de l’orchestre. Malgré son titre, qui suggère le marivaudage le plus léger, c’est bien une tragédie qui se déroule sous nos yeux, et Calmel procède en dramaturge né, sans jamais forcer le trait. Les scènes de duo font montre d’une intensité expressive qui s’interdit pourtant tout débordement d’essence vériste. Débutant dans une tension palpable, c’est dans un climat de tendresse et de résignation que l’ouvrage se termine. Car le texte de Romain Rolland n’est pas seulement une histoire destinée à distraire ou à émouvoir. Il se double d’une portée humaniste fervente, qui ne saurait surprendre sous la plume de l’auteur de Jean Christophe.
Lionel PONS, Roger Calmel ou la lumière occitane, les Amis de la musique française, 2005